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Plus gros, plus grand, … plus vide : l’appauvrissement en vitamines et minéraux

Au cours du demi-siècle passé, les agriculteurs ont doublé ou triplé le rendement de la plupart des principaux fruits, légumes et céréales. Ils ont gagné la bataille de la quantité et des calories. Mais au-delà des calories, la pomme d’aujourd’hui nous nourrit-elle autant que la pomme d’antan ?

Les agriculteurs ont tiré parti du travail des agronomes, des sélectionneurs de cultures et d’une vaste gamme d’intrants. Ils se sont essentiellement appuyés sur les engrais, l‘irrigation, les pesticides et la mécanisation.

Les augmentations de rendement à l’hectare proviennent principalement de deux sources : l’augmentation de la densité (nombre de plants sur une même surface) et l’augmentation du nombre de fruits ou légumes par plant. Dans certaines cultures comme le maïs, la majeure partie de l’augmentation du rendement provient de plantations plus denses, tandis que dans d’autres cultures cette augmentation provient d’un plus grand nombre de fruits ou légumes par plant.

Mais cet accent mis par l’agriculture moderne sur l’augmentation des rendements a occulté un aspect non négligeable qui a entraîné une érosion progressive de la qualité nutritionnelle de nos aliments. Cette érosion, modeste dans certaines cultures mais importante dans d’autres pour certains nutriments, est passée largement inaperçue des scientifiques, agriculteurs, autorités et consommateurs, ce qui a conduit progressivement à l’appauvrissement en vitamines et minéraux.

Moins de fer, de zinc, de calcium, de sélénium, … 

Les données produites par les études ont montré que la concentration d’une gamme de nutriments essentiels a diminué au cours des dernières décennies, avec des baisses à deux chiffres en pourcentage du fer, du zinc, du calcium, du sélénium et autres nutriments essentiels dans une large gamme d’aliments courants.

Par conséquent, une même portion de pommes de terre ou de maïs, ou une tranche de pain, fournit moins de fer, de zinc et de calcium. Moins d’éléments nutritifs par portion signifie aussi moins d’éléments nutritifs par calorie consommée. Nous disposons donc de davantage de nourriture, mais elle a moins de valeur nutritionnelle.

L’exactitude et la fiabilité des ensembles de données historiques sur la composition des éléments nutritifs des aliments ont été remises un temps en question car les méthodes d’analyse ont beaucoup changé au fil des ans, ce qui rend difficile les comparaisons entre époques différentes.

Mais des expériences plus récentes ont confirmé que le déclin des nutriments observé dans les données historiques est bien réel.

Anciens vs modernes

Ces expériences consistent à planter côte à côte des variétés de cultures modernes et historiques – ou des variétés à rendement élevé et à faible rendement en utilisant des pratiques agronomiques comparables (par exemple travail du sol, méthode de plantation, sources et niveaux de nutriments, méthode de récolte et calendrier).

Des études sur le blé, le maïs et le brocoli ont révélé que les variétés modernes à haut rendement contiennent généralement moins d’éléments nutritifs que les variétés plus anciennes à faible rendement.

Ce compromis entre rendement et niveau de nutriments semble être largement répandu dans les cultures et les régions car les plantes partagent leur énergie limitée entre différents objectifs. Des données substantielles montrent que pour le maïs, le blé et le soja, plus le rendement est élevé plus la teneur en protéines et en huile est faible. Pour les tomates, plus le rendement est élevé (en termes de poids de récolte), plus la concentration en vitamine C, en lycopène (le principal antioxydant qui rend les tomates rouges) et en bêta-carotène (un précurseur de vitamine A) est faible. Les vaches laitières à rendement élevé produisent un lait moins concentré en matières grasses, protéines et autres éléments nutritifs, et sont également plus vulnérables à diverses maladies métaboliques, infections et problèmes de reproduction.

Course au rendement

Compte tenu des conséquences négatives de cette augmentation des rendements et des niveaux de production, pourquoi continue-t-on dans cette voie sans prendre en compte les coûts connexes induits (« externalités négatives » en économie) ?

Les sélectionneurs se sont surtout concentrés sur le développement de variétés qui produisent de meilleurs rendements pour répondre à la demande des agriculteurs, des marchés, des politiques agricoles et des programmes de recherche.

Les efforts de sélection orientés vers l’augmentation de la teneur en nutriments des principaux aliments sont rares. Il est peu probable que les producteurs changent d’eux-mêmes de politique sans incitations significatives.

Les modes de culture et la sélection des variétés (ou plutôt de l’absence de variétés) ont agi en synergie pour préparer le terrain à ce déclin des nutriments. Ensemble, les stratégies utilisées par les agriculteurs pour accroître les rendements – y compris la densité des plants et l’utilisation généralisée d’engrais chimiques, d’irrigation et de pesticides – tendent à créer des plantes de grande taille qui poussent rapidement mais qui n’absorbent pas une quantité proportionnelle de nutriments du sol.

Ces plantes exploitent les sources nutritives très solubles et facilement disponibles apportés par les agriculteurs, par opposition à celles qui sont davantage réparties dans la terre. Des études récentes ont montré que les cultures issues de sols de mauvaise qualité et à faible teneur en matière organique ont parfois des taux plus élevés de maladies des racines et peuvent avoir de la difficulté à absorber les nutriments même lorsque ceux-ci sont présents à des niveaux élevés dans le sol.

Plus ou mieux, il faut choisir

Rendement et qualité nutritionnelle semblent donc contradictoires. Des rendements plus élevés, bien que souhaitables, peuvent s’accompagner du coût caché d’une qualité nutritionnelle inférieure et, dans certains cas, d’un risque accru de problèmes de sécurité alimentaire et de santé animale.

Les plants qui produisent des tomates plus grosses, du blé à tige plus courte avec des épis plus gros ou du maïs tolérant aux densités élevées consacrent moins d’énergie à d’autres facteurs, comme l’enracinement profond et la production d’éléments qualitatifs comme des antioxydants et des vitamines.

La réduction involontaire et discrète de la densité des éléments nutritifs a été consentie en tant que prix à payer pour l’augmentation des rendements. Après tout, globalement davantage d’éléments nutritifs sont récoltés dans un champ produisant deux fois plus, même si cela signifie 20 % de protéines ou de fer en moins par kg produit.

Pourtant, il serait judicieux d’éviter de poursuivre dans cette voie pour plusieurs raisons.

D’abord, les consommateurs doivent consommer des aliments qui fournissent davantage de nutriments par calorie absorbée. De nombreuses études épidémiologiques ont conclu que les fruits et légumes contiennent de nombreux nutriments bénéfiques dont nous ne connaissons pas le détail.

Ensuite, en plus de la trop faible quantité absolue de nutriments dans les aliments, leurs niveaux relatifs peuvent également jouer un rôle important dans la nutrition humaine et la santé. Nous n’avons pas besoin de cultures de base qui fournissent plus de sucre et d’amidon par portion avec des niveaux inférieurs de vitamines, de minéraux et d’antioxydants.

Un avenir « biologique » ?

Des recherches récentes montrent que les variétés existantes d’une culture donnée peuvent être très différentes en termes de teneur en vitamines et en minéraux. Et cette variabilité est héréditaire et ne nuit pas nécessairement au rendement des cultures. Il devrait donc être possible pour les sélectionneurs de favoriser ces variétés plus riches en nutriments avec un impact modeste sur les rendements moyens.

De plus, étant donné qu’une partie de la diminution des éléments nutritifs est le produit d’une course au rendement maximal, la modification de certaines stratégies agricoles devrait contribuer à inverser cette tendance. Par exemple, bien que l’agriculture biologique se traduise souvent par des rendements plus faibles, les études montrent qu’elle tend aussi à produire des cultures avec des concentrations plus élevées de micronutriments et d’autres composés favorisant la santé. Les augmentations vont de quelques pourcents à parfois 20 % ou plus pour certains minéraux et en moyenne environ 30 % dans le cas des antioxydants.

Certaines études ont fait état de différences encore plus marquées dans les concentrations de certains produits – par exemple, près de deux fois plus d’antioxydants courants dans les tomates biologiques que dans les tomates conventionnelles. Il existe des solutions d’engrais biologiques, comme le fumier ou les cultures de couverture. Ils offrent des mélanges plus équilibrés d’éléments nutritifs et libèrent les éléments nutritifs plus graduellement. Ils favorisent ainsi le développement d’un système racinaire plus robuste qui absorbe les éléments nutritifs de façon plus efficace. De même, pour un large éventail de fruits, de légumes et de céréales il a été démontré que la réduction de l’utilisation des pesticides augmente le contenu phytochimique, parfois de façon spectaculaire.

Cette supériorité nutritionnelle générale des produits biologiques pourrait-elle justifier le surcoût que les consommateurs paient habituellement pour les aliments biologiques ainsi que les politiques gouvernementales visant à encourager le passage aux pratiques biologiques ? De toute évidence, les avantages liés à la gestion biologique varieront selon la culture, la qualité du sol et les conditions de croissance, ainsi que selon les technologies, les intrants et les systèmes utilisés dans les fermes conventionnelles voisines qui cultivent les mêmes produits.

Calories « vides »

L’érosion significative de la qualité nutritionnelle du régime alimentaire moderne repose sur la baisse de la densité nutritionnelle des cultures de base, associée à une consommation accrue de calories largement « vides ». « Calories vides » signifie que certains aliments contiennent des niveaux élevés de sucre et de graisse mais fournissent très peu de nutriments par calorie consommée.

Comparativement à il y a un demi-siècle, lorsque les rendements des cultures ont commencé à grimper en flèche, nous consommons moins d’aliments riches en nutriments, comme les fruits et légumes frais et les céréales complètes au profit d’aliments industriels hautement transformés. Les épidémies contemporaines d’obésité et de diabète (entre autres) en sont l’une des conséquences directes. C’est pourquoi en France le PNNS (Programme National Nutrition Santé) insiste sur les 5 fruits ou légumes correspondant à 5 portions (80 à 100 g) que chacun devrait consommer quotidiennement.

L’amélioration de la qualité nutritionnelle de ces aliments, et en fait de toutes les cultures, jouera un rôle important dans la résolution de problèmes nutritionnels et de santé plus vastes, particulièrement à mesure que la génération du baby-boom vieillit. La promotion de la santé et la prévention des maladies à moindre coût dépendront probablement de plus en plus de l’amélioration des choix alimentaires et de la qualité nutritionnelle des aliments que nous choisissons de consommer, plutôt que d’une dépendance de plus en plus grande aux traitements médicamenteux et aux interventions chirurgicales invasives.

L’avenir de la planète

Au-delà des problèmes de santé qu’elle engendre, cette alimentation déséquilibrée et de mauvaise qualité est issue de systèmes de production non soutenables.

Or, selon la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture), la production agricole devra encore augmenter de 50 % d’ici à 2050 pour nourrir une population mondiale de plus de 9 milliards d’humains. De quoi fragiliser davantage l’environnement et le climat, et donc la sécurité alimentaire.(1)

Une solution pourrait être le passage à une agriculture 100 % biologique, possible à l’horizon 2050 d’après l’étude très aboutie publiée dans Nature Communications en 2017.(2)

Tous les nutriments ne sont pas créés égaux

À travers le monde, les carences en minéraux affectent des milliards de personnes pauvres, qui souffrent d’anémie liée à la carence en fer, de cécité liée au déficit en vitamine A et de cancers liés à la carence en sélénium. (3)

Même dans les pays riches bien nourris, les enquêtes gouvernementales montrent que les gens ne consomment pas suffisamment de vitamines et de minéraux pour une santé optimale.

Selon certains nutritionnistes et spécialistes en agronomie, la consommation de compléments et/ou l’enrichissement artificiel d’aliments de base seraient suffisants pour compenser une alimentation faible en nutriments majeurs.

De toute évidence, les suppléments et l’enrichissement ont un rôle à jouer dans l’amélioration de la santé publique. Mais les nutritionnistes ont aussi commencé à comprendre que la forme sous laquelle les humains consomment ces nutriments est souvent plus importante que la quantité qu’ils consomment.

Par exemple obtenir de la vitamine C, du fer ou du lycopène à partir d’une pilule n’apporte pas les mêmes bienfaits à notre corps et à notre santé que consommer la même quantité de vitamine C naturelle, de fer ou de lycopène sous forme de carotte, d’épinards ou de tomates séchées au soleil. (4)

Un article paru dans l’American Journal of Clinical Nutrition portant sur les avantages des céréales complètes dans la réduction des maladies cardiaques suggère que ce ne sont pas les fibres ou les nutriments additionnels ou les éléments phytochimiques du grain entier qui confèrent une protection contre les maladies cardiaques, mais la combinaison des trois qui agissent « en synergie les uns avec les autres » lorsque consommés au sein d’un aliment entier.

« L’avantage pour la santé résulte de la consommation d’une variété de céréales complètes, ou des portions riches en substances phytochimiques de ceux-ci », ont écrit les auteurs, « mais pas de la consommation de l’albumen seul (partie « charnue » de la graine), des fibres ou de l’enveloppe seule », (4). La vitamine C purifiée d’une pomme (une forme équivalente aux suppléments de vitamine C classiques) ne confère que 0,4 % du bénéfice antioxydant et du bénéfice anti-cancer présents dans la même pomme. Et il y a probablement des milliers de ces éléments phytochimiques bénéfiques pour la santé dans un fruit ou un légume donné, y compris ceux que nous pensons être importants, ceux que nous ne pensons pas être importants (mais qui le sont), et beaucoup ne sont même pas encore reconnus.

Pour cette raison, les compléments alimentaires de synthèse ne sont pas très efficaces, voire pas du tout, d’où la remise en cause de leur utilité par la médecine officielle (qui a d’ailleurs d’autres raisons moins scientifiques d’attaquer les compléments alimentaires). À défaut de consommer chaque jour cinq fruits et légumes de qualité – de préférence biologiques –, il semble sensé de consommer des compléments alimentaires naturels, aussi proches que possible de leur origine végétale et qui contiennent bien au-delà du principe actif officiel les nutriments sous la forme reconnue par l’organisme et donc assimilable et efficace.

Références

(Générales) Still No Free Lunch:Nutrient levels in U.S. food supply eroded by pursuit of high yields. Brian Halweil. The Organic Center September, 2007.

(1) World agriculture towards 2030/2050: the 2012 revision. Alexandratos N, Bruinsma J. Global Perspective Studies Team FAO Agricultural Development Economics Division, 2012.

(2) Strategies for feeding the world more sustainably with organic agriculture. Adrian Muller et Al, 2017.

(3) Biofortification of crops with seven mineral elements often lacking in human diets–iron, zinc, copper, calcium, magnesium, selenium and iodine. White PJ, Broadley MR. The Scottish Crop Research Institute, Invergowrie, Dundee, 2009.

(4) Nutrients, foods, and dietary patterns as exposures in research: a framework for food synergy. Jacobs DR Jr, Steffen LM. School of Public Health, University of Minnesota, Minneapolis 55455, 2003.

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