Aliments ultra-transformés et santé
De nouvelles études établissent des liens entre l’alimentation ultra-transformée et les risques pour la santé.
Dans la première étude, des chercheurs de l’Université de Paris ont suivi 105 159 personnes pendant cinq ans à la recherche d’associations entre la consommation d’aliments ultra-transformés et le risque global de maladies cardiovasculaires, coronariennes et cérébro-vasculaires.
Les régimes alimentaires des participants ont été évalués deux fois par an à l’aide du système de classification NOVA.
La classification NOVA des aliments
La classification NOVA a été créée par des chercheurs de l’Université de São Paulo qui ont mené une étude approfondie sur la vente de produits ultra-transformés dans 13 pays, entre 2000 et 2013.
Elle ne tient pas compte de la composition des produits en nutriments. Elle a pour objectif une prise de conscience vis-à-vis des risques possibles pour notre organisme (et pour l’environnement) de la transformation excessive des produits alimentaires.
Aujourd’hui, elle est reconnue à l’international comme un outil légitime, par exemple par l’Organisation Mondiale de la Santé et l’Organisation des Nations-Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture.
Groupe 1 : aliments non transformés ou peu transformés
Toutes les parties comestibles des animaux et végétaux (dont champignons et algues) et l’eau. Ces aliments peuvent être soumis à des traitements dans le but de prolonger leur durée de vie ou de diversifier leur préparation (torréfaction de graines de café, fermentation du lait pour les yaourts…) mais qui ne modifient pas intrinsèquement leurs propriétés nutritionnelles.
Exemples : viandes et poissons frais, fruits de mer, œufs, lait pasteurisé, yaourts nature, beurre, café, épices, fruits, (frais, pressés, réfrigérés, congelés, séchés,) céréales, champignons, légumes, tubercules, noix et graines.
Groupe 2 : ingrédients culinaires transformés
Ces produits sont obtenus grâce à diverses transformations physiques et chimiques (pressage, raffinage, meulage…) des aliments du groupe 1. Ils sont le plus souvent consommés avec des aliments du groupe 1. Ils servent en effet à préparer, assaisonner et cuire les aliments du groupe 1 pour produire soupes, salades, bouillons… Leurs propriétés et usages nutritionnels sont très différents de ceux du groupe 1.
Exemples : sucre, huiles végétales, beurre et graisses animales, lard, soupes, vinaigre, lait de coco, fécule de maïs, amidons, miel.
Ils peuvent contenir des additifs dans le but de conserver les propriétés de l’aliment de base.
Groupe 3 : aliments transformés
Ce sont des aliments constitués d’un ou deux ingrédients, qui ont subi des transformations assez simples, et qui sont fabriqués à partir d’un aliment du groupe 1 auquel on a ajouté du sucre, du sel, de l’huile, ou encore du vinaigre, c’est-à-dire un aliment du groupe 2, dans l’objectif de leur conférer une durée de vie plus longue, d’améliorer ou de modifier leur goût, et également d’augmenter leur résistance aux microbes.
Les boissons alcoolisées telles que le cidre ou le vin, qui sont réalisées à partir de la fermentation d’aliments du premier groupe, font partie du groupe 3.
Groupe 4 : Aliments ultra-transformés
Les aliments du groupe 4 sont réalisés généralement à partir de 5 ingrédients ou plus, dans le cadre d’une transformation industrielle complexe. Ils sont recombinés ou reconstitués à partir de divers ingrédients isolés.
Ils sont en général peu coûteux, faciles à consommer, appétissants, mais surtout riches en sucres, en sel et en matières grasses ajoutées.
Ils sont accompagnés d’un marketing poussé, avec des packaging et des campagnes publicitaires.Ils sont pour l’essentiel produits par des grandes marques multinationales.
Ils sont, le plus souvent, constitués de substances industrielles qui n’ont pas d’équivalent domestique (caséine, lactosérum, huiles hydrogénées…) et contiennent en général des additifs, afin notamment d’améliorer le goût des aliments et de camoufler les saveurs indésirables des produits finaux incorporés tels que les colorants, les émulsifiants, ou encore les édulcorants.
Le caractère ultra-transformé est lié au procédé industriel (hydrogénation, hydrolyse, extrusion, prétraitement par friture) et/ou à l’intégration de différentes substances : colorants, émulsifiants, texturants, édulcorants, additifs divers…. On parle d’ultra-transformé pour les formulations industrielles contenant cinq ingrédients ou plus.
Une teneur très élevée en sucres ou en sel peut également faire classer un produit « ultra-transformé ». Les différents additifs et ingrédients industriels, tout comme le sel et le sucre, servent souvent à améliorer les qualités gustatives du produit.
Certains produits industriels sont simplement classés, compte tenu de leurs ingrédients, « aliments transformés », par exemple, les compotes de fruits qui contiennent seulement du sucre ajouté, certaines viandes salées….
Contributions relatives des différents groupes alimentaires à l’alimentation ultra-transformée (Fiolet et al. 2018).
Exemples d’aliments ultra-transformés :
- biscuits apéritif, chips,
- sodas, boissons sucrées aromatisées, jus de fruits reconstitués,
- céréales du petit déjeuner,
- pains et brioches industriels, pains de mie,
- barres chocolatées,
- poudres chocolatées (contenant parfois entre 75 et 85% de sucre),
- plats cuisinés surgelés,
- nuggets de volaille et de poisson, cordon bleu,
- viandes fumées, saucisses, jambon (contenant nitrites et conservateurs ajoutés),
- pizzas, plats prêts à consommer (contenant arômes et agents texturants),
- soupes instantanées,
- sauces type ketchup,
- nouilles instantanées (jusqu’à une douzaine d’additifs),
- poêlées industrielles de légumes,
- yaourts aux fruits : entre 6 et 12 additifs selon les marques,
- desserts aux fruits aromatisés (sucre ajouté, agents texturants, colorants…),
- crèmes glacées
On y trouve souvent les ingrédients suivants :
- huiles hydrogénées (ou acides gras trans, déjà interdits dans certains pays et dont la Commission européenne a limité l’usage à 2 % dans les aliments transformés à partir du 2 avril 2021),
- protéines hydrolysées,
- isolats de protéines de soja,
- maltodextrines,
- sucre inverti (mélange glucose – fructose obtenu par hydrolyse du saccharose),
- lécithine de soja,
- amidon de riz,
- édulcorants (aspartame, extraits de stévia, sucralose…),
- sirop de glucose,
- nitrites,
- colorants.
Aliments ultra-transformés et surpoids
Le premier problème induit par l’alimentation ultra-transformée est la quantité de nourriture consommée et la prise de poids résultante.
Les chercheurs du NIDDK américain (National Institute of Diabetes and Digestive and Kidney Diseases, Institut National du Diabète et des Maladies Digestives et Rénales) ont suivi de près pendant un mois l’alimentation d’une vingtaine de volontaires, avec les résultats suivants : Lorsque cette alimentation est de type ultra-transformée, la ration consommée est supérieure de 500 calories par jour. La prise de poids a été de 0.9 kg par personne en – moyenne.
- Cette nourriture est dense en énergie mais pauvre en nutriments et en fibres.
- En plus de la densité énergétique, la quantité consommée est importante parce que ces aliments sont plus faciles à consommer.
- Cette alimentation se substitue aux aliments sains (fruits, légumes, …). Qui va prendre une pomme s’il peut avoir une glace?
- Bien que les additifs soient officiellement testés et validés individuellement il est très probable que leur cumul à partir des différents aliments est néfaste pour la santé.
Crédit : Hall et al., Cell Metabolism, 2019
« Sur la durée, les calories supplémentaires s’accumulent et ce surpoids peut entraîner de graves problèmes de santé », a déclaré le directeur du NIDDK, le Dr Griffin P. Rodgers. « Une telle recherche est importante pour comprendre le rôle de la nutrition dans la santé et peut également aider les gens à identifier les aliments qui sont à la fois nutritifs et accessibles – ce qui peut les aider à rester en bonne santé à long terme ».
Bien que l’étude confirme les avantages des aliments non transformés, les chercheurs notent que la consommation d’aliments ultra-transformés peut être difficile à restreindre. « Nous devons être conscients qu’il faut davantage de temps et d’argent pour préparer des aliments moins transformés », déclare Kevin Hall. « Le simple fait de dire aux gens de manger plus sainement peut ne pas être efficace pour certaines personnes sans un accès plus facile à des aliments sains. »
Une étude sur 307 enfants de milieux sociaux défavorisés au Brésil a montré qu’une consommation précoce d’aliments ultra-transformée jouait un rôle dans l’augmentation de l’obésité abdominale.
Maladies cardiovasculaires
Dans l’étude de l’Université de Paris, on a demandé aux participants de signaler leurs principaux événements liés à la santé. Après avoir pris en compte des facteurs tels que l’âge, l’IMC, le tabagisme, la consommation d’alcool et l’activité physique, l’étude a révélé une augmentation de 12 % du risque de maladies cardiovasculaires pour chaque augmentation de 10 % de la quantité d’aliments ultra-transformés consommés.
L’étude a comptabilisé 242 cas de maladies cardiovasculaires pour 100 000 personnes par an, pour 277 chez les personnes qui consomment les aliments les plus transformés. Elle a également comptabilisé des taux d’incidents plus élevés de maladies coronariennes (124 contre 109) et de maladies vasculaires cérébrales (163 cas contre 144).
Dans la deuxième étude, des chercheurs de l’Université de Navarre en Espagne ont suivi 19 899 personnes de 1999 à 2014 et évalué leur alimentation tous les deux ans, en utilisant également NOVA.
335 décès sont survenus au cours de l’étude. Après avoir tenu compte de facteurs comme l’âge, le sexe, l’indice de masse corporelle et le tabagisme, les participants qui consommaient plus de quatre portions d’aliments ultra-transformés par jour étaient 62 % plus susceptibles de mourir que ceux qui consommaient les aliments les moins ultra-transformés. Pour chaque portion supplémentaire d’aliments ultra-transformés, le risque de décès a augmenté de 18 %.
Vers une alimentation plus naturelle
« Ces résultats s’ajoutent aux preuves croissantes d’un lien entre les aliments ultra-transformés et les effets néfastes sur la santé, qui a d’importantes répercussions sur les conseils diététiques et les politiques alimentaires », a déclaré le BMJ. « Les conseils diététiques sont relativement simples : manger moins d’aliments ultra-transformés et davantage d’aliments non transformés ou peu transformés. »
Les résultats ont également des implications pour les actions politiques comme un étiquetage bien visible sur l’emballage, la taxation et les restrictions sur le marketing de ces aliments, selon le BMJ, ce qui implique d’utiliser des données pertinentes pour déterminer la « salubrité » des différents produits alimentaires.
« À l’heure actuelle, les décisions concernant les produits sont fondées soit sur des recommandations alimentaires, soit sur des « scores » d’établissement du profil nutritionnel. Ces deux méthodes montrent des limites à cet égard », a souligné le BMJ.
Certains critiquent le concept d’aliments ultra-transformés. Ils estiment que la définition a varié au fil du temps et que dans les sociétés modernes il n’est pas réaliste de conseiller à la population d’éviter les aliments ultra-transformés. Pour réduire l’exposition aux nutriments à risque, comme les graisses saturées, ils prônent plutôt la reformulation de la composition nutritionnelle des aliments transformés.
Le BMJ a rejeté ces critiques. « Les décideurs politiques devraient réorienter leurs priorités, s’écarter de la reformulation des aliments – qui risque de positionner les aliments ultra-transformés comme une solution aux problèmes diététiques – vers la promotion de la disponibilité et de l’accessibilité des aliments non transformés ou peu transformés »
Répercussions sur la santé publique
La BHF (British Heart Foundation, Fondation britannique du cœur ) a déclaré que d’autres études étaient nécessaires pour découvrir les causes pour lesquelles les études révèlent un lien entre les aliments ultra-transformés et les risques pour la santé.
Victoria Taylor, diététiste principale à la BHF, a déclaré : « Il est important de se rappeler que de telles études d’observation ne peuvent montrer qu’une association. Ils ne peuvent pas nous dire ce qui se cache derrière tout cela. La classification des aliments ultra-transformés utilisée par les chercheurs est très large et il pourrait donc y avoir un certain nombre de raisons pour lesquelles ces aliments sont liés à un risque accru pour notre santé, par exemple le contenu nutritionnel, les additifs alimentaires ou d’autres facteurs dans la vie d’une personne. Avant d’envisager d’apporter des changements aux conseils ou à la politique, il est important de bien les comprendre. » »
« Nous recommandons déjà aux gens d’adopter une diète de style méditerranéen qui comprend aussi beaucoup d’aliments peu ou pas transformés comme les fruits, les légumes, le poisson, les noix et les graines, les haricots, les lentilles et les céréales complètes. Il a été démontré que l’exercice régulier et l’abstinence tabagique sont bénéfiques pour réduire le risque de maladies cardiaques et circulatoires. »
Limiter la viande ?
En réponse à ces études, l’ONG britannique Food Ethics Council (Conseil d’Éthique de l’Alimentation) a réitéré son appel en faveur d’une taxe sur la viande ultra-transformée.
Dan Crossley, directeur exécutif, a déclaré : « Nous ne devrions pas mettre toute la viande dans le même panier, c’est pourquoi une taxe directe sur la viande ne fonctionnera pas. Les preuves les plus probantes désignent la viande ultra-transformée et d’autres aliments ultra-transformés que nous avons laissés dominer notre régime alimentaire quotidien. Il est temps de changer et d’envisager sérieusement l’idée d’une taxe sur les aliments ultra-transformés. »
Les taxes sur la viande ont fait l’objet de discussions dans les parlements allemand, danois et suédois.
Réduire les risques
Image Open Food Facts, base de données libre sur les produits alimentaires.
Les recherches sur l’alimentation ultra-transformée se poursuivent afin de mieux comprendre les mécanismes impliqués.
En attendant ces résultats, Santé publique France recommande de limiter la consommation d’aliments ultra-transformés au profit d’aliments bruts ou peu transformés.
Le Haut Conseil de la Santé publique s’est fixé un objectif de réduction de 20% de la consommation d’aliments ultra-transformés en France d’ici à 2022.
En pratique, des outils gratuits et simples comme Open Food Facts sur smartphone permettent pour de nombreux produits de connaitre en plus du nutriscore le classement Nova.
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Références